Vie de château

Comme c’est étrange, une vie de château. Nous n’aurions jamais pensé qu’il y avait là une vie pour nous. A changer de maison tous les quatre quarts d’an, à ne pas en avoir du tout parfois, à rêver de cabanes vite-faites et de tentes au clair de lune, bougeants que nous sommes, nomades pourrait-on dire, nous étions bien loin de penser que ces murs, dont l’épaisseur nous renseigne sur l’âge des pierres, accepteraient de nous accueillir. Des siècles qu’ils sont là, ne s’enrhumeraient-ils pas avec les courants d’air que nous sommes ?

Nous avons aimé leur charme, ils ont dû aimer le notre. Sans revenu aucun, si ce n’est des sourires et de l’optimisme à en faire craquer les coutures de la banque, j’estimais mal nos chances de recevoir un « oui, on vous le loue. » Le, c’était le château.

Nous louons donc un château. Châtelains d’un droit de passage, nos vassaux traversent la terrasse en nous saluant avec un mélange de sympathie et de méfiance. Ils ont la loi féodale avec eux, ils craignent seulement notre style. Quels genres de seigneurs serions-nous ? Je nous imagine évidemment justes, constants et fiables. J’apprends doucement à fermer le sceau de la lourde porte le soir tombé. La gargouille en forme de veau dans la cour me surveille et note lorsqu’en fin de journée j’oublie aléatoirement de verrouiller le portillon des anges. Je prends chacune de ses critiques très à coeur. Je nous imagine justes, constants et fiables mais il me semble bien que nous ne sommes qu’une bande de saltimbanques qui ne savent même pas monter à cheval. J’apprends à me tenir droite dans la rue. Deux églises me dépassent en taille. Un concert sera donné ce soir dans l’une d’elle. Je crois que nous y sommes invités. J’ai peur de mes écarts de conduite.

Nous essayons de constituer petit à petit notre lot de meubles. Il les faut à la fois beau, à la hauteur de notre rang soudain, et dans nos moyens véritables. D’ici quelques semaines, si je suis encore debout, mes sujets viendront demander conseil et justice. Meubler dans le temps imparti la salle du trône m’inquiète fortement, je crains de ne pouvoir qu’y parvenir à moitié. Le peuple s’apercevra-t-il que ce qu’il observe du monde n’en est en réalité qu’une demi part de ce qu’il devrait être ? L’esprit humain se contente-t-il de si peu ? Ne me serait-il pas fatal de tricher ?

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